Diagnostic, classification et évolution

Le trouble bipolaire peut s’exprimer différemment et ne pas être reconnu d’emblée. Cette situation est malheureusement la plus fréquente. Certaines données épidémiologiques illustrent cette réalité : 9 ans d’évolution avant que le diagnostic n’ait été posé correctement et qu’un traitement spécifique n’ait été mis en place, intervention de 4 à 5 médecins différents.

La recherche de périodes d’exaltation est un bon moyen pour établir le diagnostic ; mais il n’est pas toujours évident pour le patient de comprendre que les périodes où il se sentait particulièrement bien ont la même origine que les périodes où il se sentait mal. Devant la fréquence des troubles bipolaires et l’importance de l’enjeu pronostique, la recherche de signes de bipolarité devrait être systématique devant tout épisode dépressif. Elle devrait répondre à une codification afin de faciliter la démarche diagnostique :

La prise en compte des antécédents familiaux ne se limitent pas simplement à rechercher des troubles de l’humeur chez les ascendants et collatéraux. L’existence ou non d’un alcoolisme, de troubles du comportement, d’une originalité, de suicides ou de tentatives de suicides, de troubles anxieux, de troubles des conduites alimentaires, de troubles obsessionnels doivent être recherchés. Parmi les antécédents personnels, les manifestations pouvant témoigner d’un trouble de l’humeur pourront orienter le diagnostic vers un trouble bipolaire : période d’euphorie et d’excitation, de dépenses excessives, comportements originaux, problèmes avec la justice, alcoolisme, conduite à risque ou excessive, crises de violence ou d’agressivité, la notion d’une cassure par rapport à l’état antérieur, d’un changement, d’une modification du caractère, la notion d’un virage de l’humeur lors d’une prescription préalable d’antidépresseurs…

Un âge de début des symptômes précoce, au moment de l’adolescence ou au début de l’âge adulte, est aussi un indice à prendre en compte, le trouble unipolaire (dépression) ayant un début plus tardif. Chez la femme, des troubles de l’humeur survenant dans les suites de l’accouchement et avant le retour de couches seront très en faveur d’une bipolarité. Un tempérament de base de type hyperthymique caractérisé par une hyperactivité, une hypersyntonie, des projets multiples, une sociabilité excessive peuvent orienter le diagnostic. D’autres traits de personnalité sont fréquemment retrouvés chez les patients bipolaires : hypersensibilité, dépendance affective, recherche de sensations fortes… Certaines études ont de même souligné une corrélation entre trouble bipolaire et créativité, bien que cette relation reste incertaine et peu expliquée.

La symptomatologie dépressive évoquant une bipolarité peut présenter une ou plusieurs particularités : symptômes psychotiques, altération du rythme circadien avec inhibition psychomotrice majeure le matin et atténuation en fin de journée, symptômes de dépression atypique : hypersomnie, hyperphagie, inhibition psychomotrice pouvant aller jusqu’à un blocage de la pensée, labilité de l’humeur. Il est également recommandé de réaliser un entretien avec un membre de la famille et d’inciter le patient à faire des auto-évaluations (life chart…). D’autres symptômes n’ont pas de spécificité propre mais sont fréquemment observés : irritabilité, agressivité, réaction de colère, sensibilité excessive, émoussement affectif pouvant aller jusqu’à une incapacité à pleurer et ou à exprimer des affects négatifs. Les différences qui existent entre une dépression unipolaire et bipolaire peuvent être regroupées dans le tableau classé à droite de la section.

Il existe différents pièges diagnostiques dont les limites avec le trouble bipolaire sont parfois difficiles à tracer ; les troubles unipolaires, la schizophrénie (et notamment les troubles schizo-dysthymiques), les bouffées délirantes aiguës et les psychoses puerpérales, la personnalité limite, les troubles organiques (notamment la démence, l’épilepsie ou les médicaments « maniacogènes »), les addictions, les troubles pédopsychiatriques (notamment l’hyperactivité), et enfin les troubles anxieux.

 

Classification

Les classifications officielles du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) et de la Classification internationale des maladies (CIM 10) distinguent trois types de trouble bipolaire :

  • Trouble bipolaire de type I : caractérisé par un ou plusieurs épisodes maniaques ou mixtes et des épisodes dépressifs d’intensité variable (le diagnostic peut être posé même en l’absence de trouble dépressif). Une cause organique, iatrogénique ou toxique ne permet pas de retenir ce diagnostic.
  • Trouble bipolaire de type II : défini par l’existence d’un ou plusieurs épisodes hypomaniaques et un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs.
  • Cyclothymie : qui débute souvent à l’adolescence, de nombreuses périodes dépressives modérées ou d’hypomanie, de quelques jours à quelques semaines, sont diagnostiquées. Isolé par Kahlbaum, en 1882, le trouble cyclothymique constitue une forme atténuée de trouble bipolaire.

Klerman, en 1981, distingue six catégories de troubles bipolaires : les bipolaires I et II, tels qu’ils sont définis classiquement, les bipolaires III chez lesquels les états maniaques ou hypomaniaques ont été induits par des traitements médicamenteux, les bipolaires IV qui correspondent au trouble cyclothymique, les bipolaires V qui présentent des antécédents familiaux de troubles bipolaires et les bipolaires VI qui se caractérisent par des récurrences maniaques. Vingt ans après, Akiskal et Pinto individualisent huit formes différentes :

  • Trouble bipolaire 1/2 : trouble schizo-bipolaire
  • Trouble bipolaire I : maladie maniaco-dépressive
  • Trouble bipolaire I 1/2 : dépression avec hypomanie prolongée
  • Trouble bipolaire II : dépression associée à des phases hypomaniaques spontanées discrètes
  • Trouble bipolaire II 1/2 : dépression sur fond de tempérament cyclothymique
  • Trouble bipolaire III : dépression avec hypomanie induite par les antidépresseurs ou un autre traitement
  • Trouble bipolaire III 1/2 : oscillations marquées de l’humeur associées à un contexte addictif ou un abus d’alcool
  • Trouble bipolaire IV : dépression sur fond de tempérament hyperthymique

Il est à signaler que certains spécialistes (dont le Pr Sami-Paul Tawil) expriment que les différentes sortes de trouble bipolaires ne forment qu’une seule maladie maniaco-dépressive, d’autant plus que le patient peut « changer » de forme de Trouble Bipolaire.

Le spectre des troubles bipolaires s’est récemment élargi en intégrant les tempéraments cyclothymiques et hyperthymiques, les troubles saisonniers et les formes évolutives brèves. Les différentes catégories de troubles qui appartiennent au spectre bipolaire ne justifient pas les mêmes mesures thérapeutiques et ne présentent pas les mêmes critères de gravité.

La cinquième version du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V) devrait inclure les bipolaires I et II, tels qu’ils sont définis actuellement, les BP II 1/2 qui seraient représentés par les troubles cyclothymiques, les bipolaires III qui intégreraient les états maniaques ou hypomaniaques induits par des traitements et les bipolaires IV qui correspondraient aux hyperthymies. Ces dernières classifications montrent bien la tendance à l’extension du concept de troubles bipolaires, qui regroupe sous le terme de spectre bipolaire différentes entités : troubles, personnalités et tempéraments.

Est aussi considéré comme trouble bipolaire le Syndrome de Kleine-Levin, maladie rare qui affecte principalement les adolescents et les jeunes adultes. Forme atypique du trouble bipolaire, elle est caractérisée par des cycles d’hypersomnie importants, jusqu’à vingt heures de sommeil par jour, marqués par des troubles du comportement, de boulimie, d’irritabilité, de désorientation, d’hallucinations, de bouffées délirantes, d’hypersexualité (désinhibition), d’un manque total d’énergie, d’absence émotionnelle et d’un repli sur soi. On note également souvent une hypersensibilité au bruit et à la lumière. Dans de nombreux cas, les crises durent de quelques jours à quelques semaines et s’estompent avec le temps pour disparaître complètement vers la trentaine.

 

Évolution

En règle générale, la cyclicité tend à s’aggraver avec le temps avec l’apparition de cycles courts. La cyclicité rapide est associée avec un âge de début précoce, un trouble anxieux concomitant, l’abus de substances, des antécédents de tentatives de suicide, l’utilisation d’antidépresseurs et un antécédent familial de cycle rapide. Il est question de trouble bipolaire à cycles rapides quand il y a plus de quatre épisodes maniaques et/ou dépressifs durant au moins deux semaines par an. Les cycles rapides sont particulièrement associés avec le trouble panique et les antécédents familiaux de trouble panique.

La nature des épisodes se modifie avec un mélange de symptômes maniaques et dépressifs : il est alors question d’épisodes mixtes ; l’humeur moyenne tend à devenir de plus en plus dépressive et le patient présentera de moins en moins d’épisodes maniaques. Il est noté avec l’évolution une diminution des capacités cognitives. Cette évolution peut être atténuée par un traitement adapté instauré le plus précocement possible.



07/04/2012
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